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Cahier spécial les fichiers

29 avril 2008

Ban Ki-Moon appelle Israël à la retenue

«Le secrétaire général appelle Israël à faire preuve du maximum de retenue et de précautions et rappelle aux forces de défense israéliennes leur responsabilité de protéger les civils aux termes du droit humanitaire international, au cours de ses opérations militaires,» déclare un communiqué de son service de presse.

M. Ban «condamne les pertes en vies humaines à Gaza, incluant la mort tragique d'une mère de famille et de ses quatre enfants.»

Le chef de l'ONU condamne également «les attaques à la roquette qui continuent contre des cibles israéliennes de la part du Hamas» et demande à celui-ci et aux autres groupes militants palestiniens de «cesser de commettre de tels actes de terrorisme».

M. Ban souligne que «les secteurs civils de la bande de Gaza ne doivent pas être utilisés comme base pour lancer» des attaques contre Israël.

Une mère de famille, ses quatre enfants et un combattant ont été tués lundi lors d'une opération israélienne dans la bande de Gaza, où les affrontements se poursuivent malgré des discussions sur une trêve entre le Hamas et l'Etat hébreu.

Un porte-parole militaire israélien a affirmé que la mort des cinq civils palestiniens avait été provoquée par des explosifs manipulés par des activistes palestiniens.

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28 avril 2008

Y aura-t-il un Etat palestinien? (l'Humanité des débats)

Y aura-t-il un État palestinien ? Notre face-à-face Régis Debray et Leila Shahid

http://www.humanite.fr/Etat-palestinien-face-a-face-Leila-Shahid-Regis-Debray

Dans L’Humanité des débats du samedi 26 avril, face-à-face Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine auprès de l’Union européenne et Régis Debray, écrivain, médiologue.

Soumises à la pression militaire permanente d’Israël, les bases physiques, économiques et humaines d’un État palestinien sont en voie de disparition. Y a-t-il encore une place en Palestine pour un État palestinien ? C’est sur cette question paradoxale que se penchent nos deux invités, Leïla Shahid, représentante de l’Autorité palestinienne à Bruxelles, et Régis Debray, écrivain et médiologue (1). Il n’a pas oublié qu’il fut philosophe et a intitulé son dernier livre Un candide en Terre sainte (2).

Il le dédie à la fois à son vieil ami François Maspero, qui lui a donné l’idée de ce reportage « sur les pas de Jésus », et à Jacques Chirac, qui lui avait confié la mission délicate d’étudier « les coexistences ethnico-religieuses » au Proche-Orient. Régis Debray, en quête des Évangiles et de la Palestine, n’en a retrouvé que des évocations. Les uns estompés par le temps, l’autre fracassée par l’occupation et la colonisation. Il a fait le constat de l’effacement progressif, inexorable, du territoire de ce qui devrait être un jour la Palestine. Alors que cette année doit être, si l’on en croit M. Bush, celle de la création de l’État palestinien promis par l’ONU en 1947.

Alors que le mouvement sioniste, lui, a concrétisé sa promesse et fêtera en mai les soixante ans d’Israël. Le printemps pour Israël, l’hiver de la « Nakba » pour les Palestiniens.

Régis Debray, quand on referme Un candide en Terre sainte, on n’est pas loin du désespoir absolu en ce qui concerne l’avenir de la Palestine. De votre voyage d’étude sur les lieux - effectué en 2006 à la demande de Jacques Chirac -, vous rapportez un constat implacable : « Les bases physiques, économiques et humaines d’un État palestinien sont en voie de disparition. » Vous dites aussi que dès 1938 « l’administration britannique avait constaté l’impossibilité de créer en Palestine deux États, un juif, un arabe ». Alors, toutes ces luttes, ces plans de paix, tout ça pour rien ? Et est-ce que Leila Shahid, qui représente la Palestine à Bruxelles, est d’accord avec ce diagnostic ?

Régis Debray. Dans la Fêlure, Scott Fitzgerald dit : « On devrait pouvoir comprendre que les choses sont sans espoir et cependant être décidé à les changer. » C’est vrai, en cet endroit que je redécouvrais après quelques années avec l’analyse des cartes précises dues au travail remarquable des géographes des Nations unies, l’OCHAA, j’ai constaté l’application d’un programme qui s’exécute, sans fanfare ni journalistes, et qui consiste simplement à aller jusqu’à la frontière qui est pour le moment celle de l’État d’Israël : le Jourdain. Ainsi se développe, non de façon machiavélique, mais de façon à la fois vitale, spontanée, inexorable, une colonisation doublée de travaux d’infrastructures, de captation d’eau, d’occupation des hauteurs, de raccordements d’une colonie à l’autre, une colonie sauvage qui est très vite officialisée… bref, un processus qui est un rouleau compresseur et qui ne correspond pas du tout à l’image qu’on a à l’extérieur.

Face à cette réalité, je me trouve devant cette difficulté : faut-il laisser le ronron diplomatico-médiatique nous dire que « d’ici un an nous aurons deux États », que « la Conférence d’Annapolis relance l’espoir de paix », que « nous, la France, appelons au gel des colonies »… Faut-il laisser cet écran de fumée, ou dire la réalité telle qu’elle est ?

À mon sens, ce qui serait désespérant, c’est d’entériner cet écran de fumée. Ce serait entériner le double jeu d’un gouvernement qui s’efforce d’être consensuel à l’extérieur mais qui est implacable à l’intérieur. Et le double jeu de l’Occident qui consiste à laisser faire le plus fort en le protégeant par une série de déclarations lénifiantes. Faut-il déchirer cet écran au risque de décourager, de démoraliser nos amis palestiniens ? C’est un dilemme. Personnellement, j’écris pour mon opinion publique, pour les Français, pour les Européens et je ne veux pas qu’ils s’endorment sur de fausses certitudes.

Leïla Shahid. Je reviens d’un mois en Palestine après quatre ans d’absence, et j’ai été absolument catastrophée, effondrée, de voir combien les choses ont régressé. J’ai l’impression qu’en quatre ans, c’est devenu quasiment irréversible. À commencer par Jérusalem. Jérusalem aujourd’hui n’a plus d’existence en tant que ville arabe à l’Est, israélienne à l’Ouest. L’endroit où le mur est le plus répulsif, le plus difficile à vivre, c’est Jérusalem. Parce que, là, il est tout en béton. Ailleurs, sur ses 700 kilomètres de parcours, c’est parfois un grillage avec des barbelés. Mais à Jérusalem, la Jérusalem métropolitaine qui est soixante fois plus grande qu’en 1967, il est entièrement en béton et il fait 9 mètres de haut.

Deuxièmement, c’est à Jérusalem-Est que l’agrandissement de colonies a été le plus important - toutes les informations le prouvent, en particulier celles de La paix maintenant, qui a fait un remarquable travail de « monitoring » des colonies. C’est dans la tradition sioniste classique de créer des faits accomplis. Celui-là déchargera Israël de la nécessité de négocier le statut de Jérusalem. Car si cela continue, il n’y aura plus rien à négocier.

La troisième chose qui m’a beaucoup choquée, c’est l’étendue des embranchements de routes pour relier ce qu’on appelle le « ring road », le périphérique de Jérusalem, qui va pratiquement annexer toute la ville sur le plan du transport public et de l’espace. Ces embranchements ne desservent que les colonies. Il n’y a pas une seule bretelle qui aille à Beit Hanina ou dans n’importe quelle banlieue de Jérusalem-Est. L’isolement de Jérusalem de la Cisjordanie et des territoires occupés est un fait accompli : on ne peut déjà plus parler de Jérusalem-Est comme capitale de l’État de Palestine. Finalement, et ceci concerne particulièrement les Français, à cause des entreprises impliquées (Veolia et Alstom), le tramway reliera les colonies à l’est de Jérusalem à Israël, en violant toutes les règles du droit international.

Dans le reste de la Cisjordanie, l’extension des colonies autour d’Ariel, celle de Maale Adumin pratiquement jusqu’à la mer Morte, l’extension du bloc du Gush Etzion font qu’il ne reste plus que trois entités complètement séparées : le bantoustan du Nord, celui du centre et celui du Sud, qui ne sont pas viables comme territoire d’un État.

Lorsque vous dites cela aux responsables israéliens, le plus sérieusement du monde, ils vous répondent qu’ils vont faire des tunnels sous les colonies et des ponts par-dessus, pour respecter la lettre de ce qui est inscrit dans les accords : la continuité territoriale. C’est littéralement kafkaïen, mais ils le disent sérieusement !

Les premiers à constater cet état de fait, ce sont les habitants de la Palestine, qui ne reconnaissent plus visuellement le paysage dans lequel ils habitent. Tous les jours il y a soit une nouvelle colonie, une « sauvage » qui devient officielle, une autre qui obtient le statut de ville, comme Ariel ou Modiin. Ce constat, vous le trouvez dans la bouche de la plupart des citoyens, je ne dis pas des responsables de l’Autorité palestinienne. Car si les responsables devaient admettre qu’il n’y a plus les fondements territoriaux d’un État, ils devraient arrêter de négocier. Ou alors adopter une autre stratégie.

Dans votre rapport, vous prévoyez une annexion, d’ici à trente ans, de l’ensemble des territoires occupés. Sarih Nusseibeh, recteur de l’université Al Qods, rappelle dans son dernier livre (1) qu’il a un jour publié une lettre ouverte demandant à Israël d’annexer les territoires palestiniens, ce qui aboutirait à terme, disait-il, à ce que les Palestiniens aient les mêmes droits civiques que les Israéliens. Et réglerait le problème, d’autant que la croissance démographique palestinienne est élevée. Est-ce cette solution que vous envisagez ?

Régis Debray. Je n’envisage pas de solution car je ne suis ni un homme politique, ni un diplomate, encore moins futurologue - ils se trompent tout le temps ! Ce que je dis, c’est que nous assistons à ce qu’on appelle ailleurs un nettoyage ethnique plus ou moins soft, mais parfait, parce que c’est la chose sans le mot. Il est à la fois continu et invisible. Mon problème n’est pas de concevoir des plans sur la comète, mais de partir, comme dit Leila, de l’état des lieux. Les Nations unies l’ont à leur disposition à travers des relevés de terrain parfaitement objectifs, méticuleux, quasiment quotidiens. La question que je me pose, c’est celle de l’avenir des Palestiniens et de l’Autorité palestinienne. La proposition de Nusseibeh est au fond celle d’un État binational, dont les Israéliens ne veulent pas. On peut les comprendre. Ils ont créé cet État pour avoir un lieu où ils sont majoritaires et sortir d’une condition de minorité qui remonte à Titus. On peut comprendre qu’ils n’aient pas envie, à terme, d’être à nouveau minoritaires. La logique même du projet sioniste exclut la binationalité. Ou alors, le sionisme n’avait pas de sens.

Ce qui me frappe, c’est cette espèce de silence qu’observe l’Autorité palestinienne qui, devant cet état de fait, aurait deux attitudes possibles : un, je me dissous, je vous rends les clefs et on applique la convention de Genève nº4 : celui qui occupe un pays doit le gérer, c’est-à-dire payer les fonctionnaires, les hôpitaux, les routes, les écoles. Cela aurait au moins le mérite de la clarté, en mettant toutes les parties au pied du mur. L’autre solution, c’est d’envoyer les cartes de la région à M. Bush, à M. Sarkozy, M. Blair et de leur dire : « On cesse de jouer. On n’a pas les moyens de s’opposer à cela, mais au moins nous sommes debout et lucides. Nous n’acceptons pas votre attitude de Tartuffe. Vous parlez de perspectives qui n’ont plus de réalité. Vous exhortez les Israéliens à prendre des mesures, ils disent "oui" de la tête et font exactement le contraire. Vous n’en prenez jamais acte. Nous considérons que vous êtes coresponsables d’une violation quotidienne de la loi internationale. Nous ne vous considérons pas comme une instance de supervision neutre. Vous avez pris le parti d’un État qui, pour des raisons qui lui sont propres et peuvent d’ailleurs s’expliquer, s’estime au-dessus des lois. »

Ce que je trouve embarrassant quand on est un ami de la cause nationale palestinienne - comme j’aurais été un ami de la cause israélienne en 1946 -, c’est d’avaliser non seulement un déni de justice, mais encore un mensonge perpétuel et un endormissement général de l’opinion. À trop faire comme si on ne se rendait compte de rien, comme s’il y avait des négociations entre deux parties égales et de bonne foi, on devient un organe de collaboration. Voilà les questions que beaucoup de Palestiniens, et pas seulement du côté du Hamas, et que beaucoup de gens informés, comme notre ambassadeur Stéphane Hessel, commencent à se poser.

Qu’en pense Leila Shahid ?

Leïla Shahid. Je suis d’accord avec la non-crédibilité du processus de négociation aujourd’hui. Il a été crédible entre 1993 et 2000. Je précise tout de même qu’il n’y a plus eu de négociations depuis l’été 2000 jusqu’à Annapolis, soit pratiquement sept ans. Elles n’ont repris, officiellement, que depuis Annapolis. Mais sans aucune avancée. La réalité, elle, a beaucoup régressé. C’est vrai qu’il y a deux possibilités : ou bien l’Autorité en charge des négociations, c’est-à-dire Mahmoud Abbas, dit : « C’est une mascarade qui me discrédite et décrédibilise tout le processus, donc, je rentre chez moi », en confiant le dossier à une communauté internationale qui s’est montrée inexistante. Ou bien il constate : « La négociation n’a pas marché, il faut une nouvelle stratégie, militaire, politique, de soulèvement populaire, mais autre chose. » C’est-à-dire mettre le point final à la stratégie d’Oslo dont il a été, personnellement, le négociateur principal.

Pourquoi ne fait-il ni l’un ni l’autre ? Je ne pense pas que ce soit par manque de courage ni parce qu’il ne fait pas le même constat que nous. Il le fait. Mais le jour où il le dira publiquement, il n’y aura plus de négociations. Et il devra confier le dossier à une tierce partie. Mais qui ? Les Nations unies ont prouvé leur incapacité à assumer leur rôle et la communauté internationale est, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, totalement complice de l’occupation. Elle a été incapable de traiter Israël comme un État redevable du droit. C’est la première fois au monde qu’un État va aussi loin dans la violation des lois et qu’aucune forme de pression ni indirecte, ni directe, ni économique ni politique ne lui est appliquée.

Je crois que la raison directe de ce qui apparaît presque comme de la « collaboration » - c’est Régis Debray qui emploie ce mot, pas moi - est en partie la responsabilité d’une communauté internationale qui n’a pas laissé d’autre possibilité à la direction palestinienne. Il y a chez les Palestiniens un sentiment profond d’être dans le tête-à-tête total avec Israël, livré à Israël. Une conscience aiguë que la communauté internationale ne fonctionne pas en ce qui concerne le problème palestinien. Elle ne demande pas l’application de ses propres résolutions, à commencer par la 242 qui refuse l’acquisition de territoires par la force. Elle fonctionne quand il s’agit des Balkans, du Timor Oriental, du Kosovo, de tous les autres lieux du monde, mais pas quand il s’agit d’Israël. C’est parce qu’Israël, à cause de sa relation historique avec l’Europe, peut échapper à tous les devoirs.

C’est cela qui crée l’illusion - et je dis bien que c’est une illusion - qu’il n’y pas de salut hors du dialogue direct avec les Israéliens, dans un rapport de forces tellement inégal qu’il est utilisé non seulement pour changer la réalité, mais, ce qui est plus grave, pour discréditer ceux qui ont choisi, comme moi, la coexistence. Pour moi, Yasser Arafat est un homme historique pour les Palestiniens. Il l’est aussi pour les Israéliens. Pas parce qu’Oslo était bien négocié - il ne l’était pas -, mais parce qu’il a fait adopter par son peuple l’idée de coexistence. Ce qui veut dire, accepter la légitimité d’Israël et la faire accepter par tous les Arabes. Aujourd’hui, le discrédit qui touche le processus de paix discrédite aussi le concept même de coexistence. Car face à l’aveuglement total des Israéliens, les options dont dispose la direction palestinienne ne sont pas très nombreuses.

L’autre option est de fermer la négociation ouverte en 1993, faute de résultat. Mahmoud Abbas dit qu’il le fera si, d’ici à la fin de l’année, il n’y a pas de changement.

Y a-t-il une autre stratégie, une autre forme de lutte politique ou même militaire ? Je crois que la difficulté est le défi que représente le Hamas qui, dès le début, a refusé la voie de la négociation. Dire qu’on y renonce, c’est reconnaître leur succès. Ce n’est pas facile. Dissoudre l’Autorité serait une irresponsabilité totale - car à qui confierait-on la population palestinienne, aux israéliens ?

Pour ces deux raisons, l’Autorité palestinienne continue dans un chemin qui peut être mal interprété et qui suscite dans la population, mais aussi chez les amis de la Palestine, un questionnement immense. Il y a une réflexion dans la société palestinienne sur la redéfinition d’une stratégie. Comme si nous avions achevé un cycle. Israël devra assumer sa responsabilité dans la fin de ce cycle commencé en 1993 et qui lui offrait, pour la première fois en quarante-cinq ans, une légitimité. S’il n’y a plus d’espoir d’un État palestinien, nous perdons tous ces acquis. S’ouvrira un nouveau cycle dont personne ne peut dépeindre les contours.

Est-ce que l’idée de Régis Debray d’installer l’ONU à Jérusalem pourrait changer quelque chose ?

Régis Debray. C’est saugrenu en apparence, mais imparable au plan juridique. La Charte des Nations unies ne fixe pas d’adresse pour son siège. Si une majorité de l’Assemblée générale le décidait, le Conseil de sécurité ne pourrait pas s’y opposer. L’idée remonte à Massignon, lorsqu’il sentait, en 1937, que la SDN était comme l’ONU aujourd’hui - un machin selon de Gaulle - qui n’était pas à la hauteur de sa tâche. Il s’est dit qu’on pourrait la revigorer en l’installant à Jérusalem. Il sentait que c’était un lieu conflictuel. Mais les Américains n’y ont pas intérêt. Ils contrôlent l’ONU par divers moyens, dont le premier est l’osmose, le système d’écoute, les diverses pressions sur les États pauvres. Les Israéliens ne le souhaitent pas. C’est un pays ultrasouverainiste qui ne veut pas que la communauté internationale se mêle de ses affaires.

Avoir l’ONU chez soi, c’est embêtant quand on refuse d’appliquer ses résolutions. Mais sur le long terme, il y aurait un intérêt physique pour toutes les nations du monde qu’il y ait la paix là où est le siège de l’ONU. Ce serait une garantie de sécurité à long terme pour Israël. En outre, ce serait un point d’équilibre qui assurerait la neutralité : il n’est pas sain que l’organisme chargé du droit soit au lieu de la force. La coïncidence entre la capitale d’un empire et celle du droit international est vicieuse dans son principe.

Leïla Shahid. Moi, j’ai trouvé cette idée géniale ; je n’avais jamais pensé à cela. Mais si on ne peut pas déménager l’ONU, on peut essayer de l’impliquer davantage. On n’a pas tiré le bilan de ses échecs. On a trop tendance à attribuer l’échec aux Palestiniens, surtout en ce moment. Si on n’a pas été capables de défier Israël, sous prétexte qu’on ne peut pas s’en prendre à sa souveraineté alors qu’on le fait pour d’autres, c’est là qu’est le problème de deux poids, deux mesures. L’ONU, un machin, dit-on ? Mais on n’a pas trouvé quelque chose pour la remplacer. Si Israël veut annexer tous les territoires, il va se retrouver avec cinq millions de Palestiniens et devra gérer cela sur tous les plans, y compris la sécurité. Peut-être qu’un jour il aura besoin des Nations unies pour se sortir du « merdier » dans lequel il se sera mis.

Régis Debray. Il y a en effet quelque chose de suicidaire dans l’attitude des Israéliens. Certains en sont conscients. J’ai vu Abraham Burg (2) il y a peu, il est de ceux qui voient loin. Une des raisons d’espérer est la présence d’esprits libres en Israël, de gens qui allient une grande culture à un grand courage, et qui se rendent compte que la politique de force est non seulement illégitime mais contre-productive pour elle-même et cause, à la fin, de faiblesse.

Il y a un mot capital qu’on n’a pas prononcé, c’est celui de Shoah. Israël est un État auquel beaucoup de choses illégales sont permises. Pourquoi ? Parce que c’est pour tout l’Occident un remords et une faute. Nous avons le sentiment d’une dette, peut-être pas éternelle, mais qui n’a pas fini d’être payé et qui s’appelle l’Holocauste. Elle donne à Israël un statut ontologique de victime. Exercer une pression sur ce pays, c’est se montrer en quelque sorte complice a posteriori d’un crime contre l’humanité.

L’Europe est paralysée parce qu’elle porte cette immense culpabilité. Il est significatif que ce soit les pays où il n’y a pas eu de déportation ni d’étoile jaune qui sont les plus objectifs, les plus courageux. Je suis très frappé de l’attitude de l’Église anglicane par rapport aux autres Églises chrétiennes. Les pays nordiques aussi, l’Espagne, tous les pays qui n’ont pas cette tache ignoble dans leur passé et qui nous est chaque jour rappelée - pas un jour sans que la radio, la télévision, le journal, ne nous ramène au Vel d’Hiv et à Vichy. Cela donne à Israël une immunité que personne n’ose entamer. Cela pour l’Europe.

Quant à l’Amérique, c’est une colonie spirituelle du peuple hébreu. C’est écrit dans les gènes de l’Amérique, dans la genèse historique des États-Unis. Vous avez donc en Europe une impossibilité psychologique d’intervenir et en Amérique une impossibilité théologique. Les deux ensemble, ça fait la communauté internationale. Quand vous avez dit cela, vous n’avez pas grand-chose à attendre de l’extérieur. Sauf si un Palestinien se lève face à la communauté internationale et commence à lui parler vrai, à dire « oui, il y a eu la Shoah, oui c’est un crime inexpiable, mais est-ce à nous de l’expier, nous qui ne l’avons pas commis ? Et est-ce qu’un crime contre l’humanité excuse des crimes de guerre perpétuels ? Je crois qu’il faut secouer l’opinion internationale. Le travail qu’Arafat a fait vis-à-vis de son peuple et du monde arabe, il faut qu’un Palestinien le fasse vis-à-vis de la conscience internationale. Qu’il la mette face à sa rhétorique. Prenez-la au mot : « Vous êtes la loi ou non ? Si on ne respecte pas ce que vous dites, cessez de faire des résolutions. Dissolvez-vous. » Il faut être un peu radical pour être réaliste. C’est-à-dire aller à la racine des choses. Je trouve que les Palestiniens ne sont pas assez radicaux. Je ne parle pas de violence mais de radicalité théorique et pratique.

Leïla Shahid. C’est vrai que les Palestiniens, comme le monde entier, ont été pris au piège de la diplomatie bien-pensante. Ils ont cru à un nouvel ordre mondial où chacun aurait sa place. Je suis d’accord sur l’analyse de ce qui a paralysé la communauté internationale. C’est pourquoi je dis aux instances européennes : « Israël n’est pas seulement notre problème, c’est aussi le vôtre. Israël fait partie de votre histoire. Il fait partie de notre présent et de notre avenir, pas de notre passé. Et vous ne pourrez pas régler vos comptes avec votre passé en vous contentant de nous envoyer une aide humanitaire. »

Je pense que la proposition de coexistence faite par Yasser Arafat était basée sur ce constat : même si nous n’avons pas été historiquement responsables du génocide, nous assumons le fait que c’est un crime contre l’humanité, qu’il a eu lieu. Ayant assimilé cela, nous avons accepté de reconnaître Israël et son désir de fonder un État national là où il n’y a jamais eu d’État juif. C’est pourquoi nous nous sentons, sur le plan de la maturité politique, de notre position éthique, en avance sur bien des conflits nationaux : nous avons intégré celui qui a été notre ennemi historique dans la vision de notre propre avenir. On ne reconnaît pas assez ce mérite aux Palestiniens.

La tragédie, c’est qu’à cause de l’entêtement israélien, à cause de la culpabilité que le monde a à l’égard d’Israël, on voit se développer, pour la première fois dans l’histoire, une montée de l’antisémitisme dans un monde arabe qui ne comprend pas que la seule réponse d’Israël soit davantage d’expulsions, de colonies, de murs. Mais il y a en Israël des justes à qui je veux rendre hommage, des militants anticolonialistes qui voient plus loin que les hommes politiques.

Quand on a l’impression que tout est bouché, comme maintenant, certaines choses peuvent déclencher une situation nouvelle. Il y a dans la société israélienne, sur le plan de ce qui s’écrit, des questionnements fondamentaux. Par exemple le dernier livre d’Abraham Burg, qui ose nommer les choses par leur nom, décrire l’état de sa propre société, quitte à se faire lyncher. Par exemple Schlomo Zand, qui vient de publier en hébreu un livre où il se demande si on peut parler d’un peuple juif. Il y a dans la pensée juive sioniste une réflexion qui peut remettre en cause beaucoup de choses.

Ce qui me désespère en revanche, c’est l’Europe. Je travaille depuis deux ans dans les instances européennes, l’un des groupements régionaux qui comptent le plus dans le monde. Cette Europe se montre incapable d’exister politiquement, mais elle se lance dans des projets nouveaux, comme l’Union pour la Méditerranée.

Comment peut-on parler d’une telle union avec un conflit aussi important en son coeur alors qu’on n’a pas été capable de trouver une solution en treize ans de processus de Barcelone ? C’est encore faire l’autruche. Et je m’inquiète parce que je vois qu’il y a d’autres forces politiques dans cette région qui sont en train de gagner sur nos échecs, celui des laïcs, celui des partisans de la coexistence. Ceux qui ont une autre vision sont en train de gagner du terrain tous les jours. Pas seulement en Palestine. Cela va de la Mauritanie jusqu’à l’Irak.

Honnêtement, je suis plus désespérée par l’attitude de l’Europe qu’en regardant nos deux sociétés, israélienne et palestinienne, qui, je le crois, trouveront les ressources pour s’en sortir, malgré les échecs dans lesquels nous sommes tous.

Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin paru dans l’Humanité des débats du 26 avril 2008.

(1) Méthode d’analyse des processus de transmission culturelle, qui étudie les relations entre les objets symboliques, les formes d’organisations collectives et les médiations techniques (NDLR).
(2) Un candide en Terre sainte, Gallimard, 2008, 450 pages, 22,50 euros.
(3) Sarih Nusseibeh vient de publier chez Lattès Il était un pays, la Palestine.
(4) Ancien président de la Knesset, Abraham Burg vient de publier Vaincre Hitler.

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